Justice : sous pression du Conseil d'Etat, le ministre Kader ARIF doit trouver un demi milliard d'euros
Depuis le 4 février 2011, date de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur requête du Comité Harkis et Vérité, il est désormais de notoriété publique que les droits ouverts par les lois du 16 juillet 1987, du 11 juin 1994, du 31 décembre 1999 et du 23 février 2005 n'ont jamais concerné l'ensemble des familles de harkis.
Sur les 30 000 familles de harkis résidant sur le territoire français, seulement 12 000 d'entre elles ont réellement pu bénéficier des droits ouverts par ces différents textes. Résultat, depuis trente ans, deux familles de harkis sur trois ont été écarté de l'application de la législation française en faveurs des harkis et de leurs familles. Pourtant, ces différentes lois ont toujours été présentées à l'opinion publique comme des grands textes de lois censés résoudre les difficultés de l'ensemble des familles de harkis.
Depuis une dizaine d'année, plusieurs centaines de familles de harkis ont saisi les juridictions afin d'obtenir justice. En vain.
Finalement, il aura fallu attendre les grandes victoires du Comité Harkis et Vérité devant la Justice française pour qu'un grand nombre de famille de harkis puissent enfin espérer obtenir leurs droits.
Toujours est il que depuis le 4 février 2011, le gouvernement FILLON , en responsabilité à l'époque, ne s'était pas empressé de tirer toutes les conséquences de la décision du juge constitutionnel qui, au passage, venait de procéder à la réécriture de pas moins d'une demi douzaine de lois françaises applicables aux familles de harkis.
Pour le gouvernement de l'époque, il était impératif d'attendre. Il était surtout important de gagner du temps car au sein des ministères, les calculs budgetaires et financiers ont été rapidement faits : si chacun de 15 000 nouveaux bénéficiaires suite à la décision du Conseil constitutionnel faisait seulement valoir leurs droits à l'allocation de reconnaissance : 15 000 × 30 000 euros = 450 millions d'euros, soit près d'un demi milliard d'euros.
Face à cette nouvelle dépense pour le budget de l'Etat, le gouvernement Fillon avait fait le choix de ne rien faire et d'attendre la décision qu'allait rendre le Conseil d'Etat après la décision du Conseil constitutionnel du 4 février 2011.
Le 20 mars 2013, le Conseil d'Etat a donc fini par rendre sa décision : la plus haute juridiction administrative du pays a confirmé la position du Conseil constitutionnel du 4 février 2011 et a profité de l'occasion pour trancher définitivement le cas des anciens supplétifs de statut civil de droit commun, plus connus sous le terme de "harkis blancs" : ils ont droit à l'allocation de reconnaissance pour le Conseil d'Etat.
Un peu plus de 1 000 bénéficiaires devront par conséquent être ajouté aux 15 000 bénéficaires annoncés en février 2011 par le sécretariat général du Gouvernement.
Depuis le 24 mars 2013, date de la publication de la décision du Conseil d'Etat au Journal Officiel, il revient désormais au ministre délégué aux anciens combattants Kader ARIF de trouver prochainement un demi millard d'euros dans le cadre de la prochaine loi de finances.
Déjà, en fin d'année 2012 au Parlement, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2013, le député écologiste de l'Hérault Jean-Louis ROUMEGAS, rapporteur des crédits à destination des rapatriés au sein de la commission des affaires sociales de l'Assemblée, avait tiré la sonnette d'alarme au sujet de l'insuffisance des crédits en faveur des harkis et des rapatriés pour l'année 2013. Le montant des crédits en faveur des rapatriés "pourrait s’avérer insuffisant compte tenu des dépenses nouvelles induites par la décision du Conseil Constitutionnel. (...) L'ensemble des mesures en faveur des rapatriés se sont élevées à 21,6 millions d’euros en 2011. Les crédits qui leur sont alloués atteignent 18,4 millions d’euros en 2013, mais il est vraisemblable qu’ils ne seront pas suffisants" écrit le député écologiste dans son rapport au nom de la commission des affaires sociales.
Sous la pression du Conseil d'Etat, il appartient désormais au ministre délégué aux anciens combattants Kader ARIF d'obtenir le demi milliard d'euros nécessaire à l'administration chargée des familles de harkis pour se mettre en conformité avec le droit tel que recadré par les juges. A suivre...
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Document :
C'était écrit dans le journal Le Monde depuis deux ans !
Article du Monde - Edition du 5 février 2011
Environ 15 000 harkis, qui en étaient exclus, vont pouvoir bénéficier de l'« allocation de reconnaissance »
Inlassablement, le Conseil constitutionnel, grâce à la mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), continue son travail de « toilettage » de la législation. Vendredi 4 février, il a censuré plusieurs dispositions successives des lois de 1987, 1994, 1999, 2002 et 2005 qui privaient de l'« allocation de reconnaissance » les anciens membres des forces supplétives et assimilés (les « harkis ») ou victimes de la captivité en Algérie installés en France mais n'ayant pas opté pour la nationalité française.
La question prioritaire de constitutionnalité avait été posée par le Comité harkis et vérité. Les dispositions contestées forment une chaîne de dispositions imbriquées les unes dans les autres. La loi de 1987 avait créé une première allocation, complétée par une allocation forfaitaire complémentaire en 1994, puis une rente viagère en 1999, rebaptisée « allocation de reconnaissance » en 2002, pouvant au choix être attribuée sous forme de rente ou de capital à partir de 2005.
Trait d'union de cette chaîne, l'ensemble de ces lois subordonnait l'octroi de ces allocations ou rentes à une double condition de résidence en France - étendue par la suite à d'autres pays de l'Union européenne - et de nationalité française. Conformément à la décision qu'il avait rendue le 28 mai 2010 sur la « décristallisation » des pensions civiles ou militaires des anciens combattants des ex-colonies, le Conseil constitutionnel a jugé que la différence de traitement instituée par le critère de nationalité ne pouvait être justifiée aux yeux de la Constitution.
« Devoir de reconnaissance »
Cette décision revêt une dimension majeure aux yeux de la communauté harkie, pour qui « ces conditions discriminantes n'ont eu pour seul objet que d'exclure de la législation française une grande partie des familles de harkis », selon l'avocat du Comité harkis et vérité, Me Jean-Emmanuel Nunès. Elles constituaient « un trou dans le devoir de reconnaissance ». En saisissant le juge constitutionnel, le comité espérait ainsi que celui-ci rendrait « justice à tous ces harkis qui réclament depuis des années leurs droits d'anciens combattants ».
Sur les quarante dernières années, un peu plus d'un milliard d'euros ont été versés aux 12 000 harkis et à leur famille répondant aux conditions de nationalité française et de résidence continue en France depuis 1973. L'appellation regroupe à la fois les membres des harka, les formations militaires encadrées par les soldats français qui étaient rémunérées par l'armée ; les moghaznis, personnels civils qui participaient à des opérations de guerre mais étaient payés par le gouvernement général d'Algérie ; les groupes mobiles de protection rurale et les groupes mobiles de sécurité dépendant du ministère de l'intérieur ; les groupes d'autodéfense, armés pour la protection des villages mais non rémunérés ; ainsi que les agents de police auxiliaires ou occasionnels.
Selon le secrétariat général du gouvernement, les anciens supplétifs concernés par les dispositions mises en cause, exclus du fait de la nationalité du bénéfice de l'allocation de reconnaissance, seraient « environ 15 000 ».
Patrick Roger
Source : Le Monde