Rencontre avec Alain Néri, rapporteur au Sénat de la proposition de loi sur le 19 mars

24/10/2012 18:29

 

Le jeudi 25 octobre 2012, le Sénat examine la proposition de loi relative au 19 mars. Un certain nombre d'associations de rapatriés et de harkis ont exprimé leur opposition à ce texte.

Reste que le vendredi 19 octobre 2012, le cabinet du ministre délégué aux anciens combattants a réuni aux Invalides les associations de rapatriés d'Algérie et de harkis afin d'entendre la colère exprimée vis à vis de cette proposition de loi inscrite à l'ordre du jour du Sénat.

Dans la perspective de ce débat devant la Haute assemblée, le Groupe de contact Harkis et Pouvoirs publics a souhaité entendre le rapporteur du texte au Sénat, Alain Néri, sénateur PS du Puy de Dôme. Auvergnat et homme de dialogue, Alain Néri a souhaité dans le cadre de la préparation de son rapport auditionné tous les acteurs intéressés par l'examen prochain de ce texte au Sénat, y compris les opposants à ce texte. C'est ainsi qu'à l'initiative d'Alain Néri, M. Mohamed Haddouche, vice-président de AJIR pour les harkis et opposé au 19 mars, a été auditionné le mardi 16 octobre 2012 par la commission des affaires sociales du Sénat.

A la veille de l'examen de cette proposition de loi, le Groupe de contact a souhaité qu'Alain Néri exprime les impressions et opinions du rapporteur qu'il sera devant le Sénat lorsque la proposition de loi sera examinée sollennellement par le Sénat.

 

Le Groupe de contact : Monsieur Néri, vous avez été désigné par la commission des affaires sociales du Sénat pour rapporter la proposition de loi sur le 19 mars 1962. Le texte va être examiné par le Sénat le jeudi 25 octobre prochain. Pourquoi le Sénat examine ce texte maintenant ?

Alain Néri : Trop longtemps, la guerre d'Algérie, qualifiée abusivement de maintien de l'ordre, de pacification, voire d'évènement, a été niée et occultée de notre mémoire collective. Il a fallu attendre 37 ans après le cessez-le-feu en Algérie pour que la guerre d'Algérie soit enfin reconnue officiellement le 18 octobre 1999 après un vote unanime de l'Assemblée Nationale et du Sénat de la proposition de loi socialiste dont j'étais le rapporteur.
Aujourd'hui, 50 après le cessez-le-feu, il est urgent de reconnaître le 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes,civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Comme les deux conflits mondiaux, la guerre d'Algérie appartient à notre histoire. Comme les deux autres générations du feu des guerres de 14-18 et de 39-45, la troisième génération du feu a droit à une date historique et symbolique. La guerre d'Algérie, restée trop longtemps une guerre sans nom, ne doit pas rester plus longtemps une guerre sans date.
Cette proposition de loi a déjà été adoptée par l'Assemblée Nationale le 22 janvier 2002. Il appartient donc aujourd'hui au Sénat de voter cette proposition qui ne doit pas attendre plus longtemps pour devenir une loi de la République

Le Groupe de contact :  Le groupe UMP au Sénat a d'ores et déjà annoncé qu'il ne voterait pas ce texte. Ce texte ne fait donc pas l'unanimité ?

Alain Néri : Je regrette que, contrairement au vote unanime de l'Assemblée Nationale et du Sénat sur la reconnaissance officielle de la guerre d'Algérie en 1999, cette proposition ne soit pas votée de la même façon. D'ailleurs, des députés de droite et du centre avaient voté cette proposition de loi à l'Assemblée Nationale. Il convient de remarquer que très peu de lois sont votées à l'unanimité. Cependant, il me paraît utile de rappeler que le cessez-le-feu en Algérie a été ratifié par 90,8 % des français lors du référendum du 8 avril 1962. De très nombreuses communes de France, des Conseils Généraux et Régionaux, ont adopté des voeux pour que le 19 mars soit reconnu comme date officielle et de nombreuses places et rues de nos communes portent aussi le nom du 19 mars 1962.

Le Groupe de contact : Un certain nombre d'associations de rapatriés d'Algérie et de harkis ont également exprimé leur opposition à la reconnaissance du 19 mars 1962. Dans les faits, la guerre d'Algérie n'a pas pris fin le 19 mars 1962. Il y a eu par la suite le massacre des harkis et le drame des pieds-noirs. Alors pourquoi persister dans cette démarche d'adoption de cette proposition de loi sur le 19 mars 1962 ?

Alain Néri : Oui, la guerre d'Algérie n'a pas pris fin le 19 mars 1962. Et nous affirmons solennellement que le 19 mars 1962 est la date officielle du cessez-le-feu. C'est indiscutable. À ce titre, le 19 mars s'impose en raison de sa double et indissociable signification au cœur même d'une tragique et douloureuse histoire.
Pour les uns, soldats, leurs familles et leurs amis, cette date correspond à la fin d'une guerre cruelle où nombre de leurs camarades sont tombés. Pour eux, c'était l'annonce du retour en France et d'une « paix » retrouvée. C'était également réapprendre le quotidien en affrontant les souvenirs et les traumatismes profonds qui en découlaient.
Pour les autres, elle correspond à l'accélération des drames vécus et au basculement dans les déchirements. Pour nos compatriotes français d'Algérie rapatriés, c'était l'abandon de leur terre natale et de leurs racines.
Pour les harkis, qui n'envisageaient pas d'autre avenir que dans la France, cette fidélité fut un choix lourd de conséquences pour lequel ils ont payé un lourd tribut. Les uns, désarmés et odieusement et lâchement abandonnés sur ordre du gouvernement de l'époque, furent massacrés dans des conditions horribles. Les autres, rejetés des terres qui les avaient vus naître, ont trop souvent fait l'objet d'un nouveau rejet dans leur terre d'accueil. Aujourd'hui, leurs enfants revendiquent légitimement la reconnaissance de la France vis-à-vis de leurs pères et leur propre intégration.
Pour tous, ce fut la guerre. Pour tous, ce furent la violence, les haines, les peurs, les souffrances, le rejet, l'incompréhension, les silences.
Aujourd'hui, il appartient que la Nation unie et rassemblée rende hommage à toutes les victimes de la guerre d'Algérie autour du 19 mars, signal de rassemblement et sanctuaire pour tous.